Pour un changement dans la manière de voir les pénalités contractuelles.
Les pénalités contractuelles
Elles sont bien inscrites aux contrats.
Elles sont débattues pendant des heures lors de sa
rédaction entre acheteurs, juristes, managers de projets, Contract Manager.
Mais comment véritablement s’en servir ?
Dans beaucoup de projets, l es pénalités sont mal utilisées car deux visions s’opposent.
Celle du client, pour qui très souvent, il s’agit soit de "punir le fournisseur qui a mal fait son
travail", soit de "récupérer de la marge sur projet" (avec la plupart du temps un maximum de
10% du montant global de la commande), voire de "négocier les pénalités contre des rabais
sur les prochains marchés" (pratique achat très répandue lorsque le panel fournisseur est peu
développé).
En face, la vision du Fournisseur, qui va "provisionner les pénalités dans ses prix (au risque
d'être trop cher si un de ses concurrents joue un autre jeu)", ou accepter le risque en pariant
que "le client ne les appliquera pas (sauf quand il le fait vraiment)", ou qui connaissant bien
les acheteurs client saura que « on les négociera contre des ristournes pour les prochains
marchés" (qui auront aussi des mécanismes de pénalités qu'il faudra provisionner dans les
prix !).
Ces pratiques sont sur certains secteurs presque devenues des règles tacites auxquelles chacun
se conforme, au risque de devenir un sujet de crispation dans le déroulement du projet, voire
de conflit majeur. Surtout lorsque le client prévoit des pénalités très élevées (non libératoires),
auxquelles il se réserve de plus le droit d’ajouter d’autres compensations financières si le
préjudice subi ne serait pas intégralement couvert par lesdites pénalités.
Et si, en fait, nous passions à côté d'un vrai levier de management de la relation
contractuelle ?
Je propose une approche différente.
Partant du principe que les pénalités sont des dispositions contractuelles, qu’elles font partie
de l’accord entre les parties sur le déroulement du marché, elles doivent être appliquées.
D’ailleurs, dans les marchés publics, ne pas appliquer les pénalités est répréhensible, tant d’un
point de vue du Code de la commande publique, que de l’usage des deniers de l’état par
l’acheteur public.
Il s’agit donc de faire en sorte que les pénalités servent le projet. Quelques propositions pour
cela :
Les pénalités doivent tout d’abord répondre à un vrai besoin du Client, et mettre l’accent sur
ses objectifs principaux, à commencer en termes de délais : les jalons soumis à pénalités seront ceux pour lesquels le retard est véritablement préjudiciable et qui reflètent la logique
du planning du Projet. Ce ne sera pas forcément un changement de phase, mais la livraison
d’un équipement ou d’un livrable essentiel, la mise à disposition d’une zone en interface avec
un autre marché ou projet, etc. Ces jalons seront spécifiques à chaque marché. On voit en effet
trop souvent sur des marchés allotis des jalons identiques quel que soit l’étendue des
prestations et travaux.
De la même manière, les pénalités liées aux performances techniques, sociales et
environnementales du projet doivent être en lien avec ses objectifs spécifiques. Des pénalités
« génériques », copiées/collées du projet précédent ne feront pas sens et ne seront pas
forcément bien suivies par l’équipe projet et, en conséquence, difficilement applicables.
Par la suite, un rappel doit être fait sur le cadre d’application des pénalités lors du lancement
du contrat avec le fournisseur. Ainsi, les règles de prolongation de délais seront précisées
(d’autant que le SCL Protocol1 propose pour cela des règles opérationnelles). Un suivi
approfondi de l’origine des retards devra être mis en place et discuté régulièrement par les
parties.
Ceci encouragera le fournisseur à réaliser un travail rigoureux de planification s’il veut
s’assurer d’éviter de pénalités pour des faits générateurs dont il ne serait pas responsable. Ce
travail bénéficiera évidemment aux deux parties.
Enfin, le caractère « non libératoire » des pénalités, sujet sensible s’il en est, devra être
réservé aux seules exigences essentielles du projet2, et le cadre du préjudice réparable encadré.
D’autant que le Client dispose d’autres leviers pour faire corriger les écarts ou obtenir
réparation : réfactions, retenues de garantie entre autres.
Enfin, une fois ces dispositions en place et acceptées entre les parties, une application au fil de l’eau devra être effectué. Il ne s’agira pas de reporter le sujet à un règlement final du marché, qui serait alors uniquement financier et priverait le projet de ce levier de management. Ce sera notamment un des sujets débattu lors des revues de contrats régulières, en maintenant le dialogue sur la recherche de solutions et non sur le fait de punir ou d’obtenir réparation.
Les pénalités sont trop souvent sources de litiges et de conflits relationnels majeurs sur les projets. Les tensions qu’elles suscitent vont alors à l’encontre des intérêts des parties, une mauvaise relation contractuelle conduisant systématiquement à des difficultés sur les projets,
c’est alors un cercle vicieux qui se met en place.
Clarifier les termes et conditions dès le départ, dans un cadre contractuel équilibré et reflétant les véritables intérêts et objectifs du projet, avec une relation contractuelle sereine et orientée vers la recherche de solutions, est la clé, selon moi, d’un bon usage du mécanisme des
pénalités contractuelles.
🖋️ Thiébaut VIEL, est Entrepreneur, Consultant et Formateur en Management de Projet, Ingénieur Polytechnicien. En tant que Manager et Consultant, il est intervenu depuis 1995 sur plus d’une cinquantaine de projets, dans l’Industrie, les Services, en France et à l’International.
1 Delay & Disruption Protocol » 2nd edition February 2017 - www.sclinternational.org
2 Exigence Essentielle : Exigence dont le non-respect remet en cause les objectifs fondamentaux du projet