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Blog de l'ICM

Le Comité de Résolution de Différend (CRD) : Un excellent outil de résolution des litiges en cette période post COVID19 et de conflit en Ukraine ?

Le Comité de Résolution de Différend (CRD) : Un excellent outil de résolution des litiges en cette période post COVID19 et de conflit en Ukraine ?

Note préliminaire : cet article est écrit par un ingénieur totalisant plus de 25 ans dans la conduite de projets industriels, ancien chef de projet et gestionnaire de contrats et contrats de sous-traitance dans le domaine de la construction. Il représente donc le point de vue d’un expert technique et non pas d’un juriste ou d’un avocat du droit de la construction, bien que son rédacteur ait été appelé à décider ou donner un avis non contraignant sur des écritures de parties mettant en jeu des éléments de droit. 

Depuis des décennies, l’industrie de la construction a apporté son lot de contentieux et de litiges, notamment dans les pays de droit coutumier (Common Law), qui ont entrainé de longues et couteuses procédures contentieuses. La situation semblait quelque peu différente dans « nos » pays européens de droit et de culture civiliste, d’abord parce que le cadre légal poussait à l’élaboration de réclamations en fin de chantier, que les parties souhaitent davantage résoudre à travers une négociation amiable, dans la perspective de pouvoir conclure d’autres marchés, et souvent au motif que « un mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès ».

La pandémie de COVID19 (2020-2022) et plus encore l’éclatement du conflit en Ukraine (février 2022) ont sensiblement changé la donne mondiale. En effet, avec la crise de COVID19, les états ont adopté des politiques de lutte contre la pandémie différentes les unes des autres. Celles-ci ont entraîné des répercussions plus ou moins accentuées sur les chantiers de construction, conduisant à une surenchère des prix de main d’œuvre et des surcoûts liés aux pertes de productivité des moyens de production, en raison des mesures de protection et de distanciation imposées sur les chantiers. Ensuite, alors que le monde se remettait de la pandémie mondiale de COVID-19, les pays ont progressivement commencé à rouvrir leurs frontières et à reprendre le commerce régulier, générant une demande de marché en essor, dans de nombreux secteurs dont celui de la construction ; mais certains pays ont continué d’appliquer une politique stricte de zéro-COVID tout au long de l’année 2022, avec parfois des réductions drastiques de leurs échanges extérieurs.

La combinaison de ces deux phénomènes a entrainé de graves perturbations dans les chaînes d’approvisionnement mondiales de l’industrie de la construction et une inflation des prix, que les révisions de prix dans les marché, lorsqu’elles existaient, n’ont pas permis de couvrir entièrement. De nombreux litiges sont nés de cette situation, y compris parmi les opérateurs de pays de droit civiliste, éventuellement moins enclins à remettre en cause le principe d’intangibilité des prix forfaitaires des marchés. L’industrie de la construction a ainsi vu éclore de nombreuses réclamations sur les thèmes du changement de loi, les sujétions imprévues ou la théorie de l’imprévision, en fonction des dispositions du Contrat et de la Loi applicable. 

Ces situations ont dès lors soulevé des préoccupations profondes dans l’industrie de la construction (et ailleurs), l’une d’entre elles pouvant se résumer comme suit :

Comment résoudre nos litiges de manière plus efficace, plus rapide et moins couteuse qu’en faisant appel aux méthodes « traditionnelles » consistant à porter le litige devant un tribunal, qu’il s’agisse de la voie judiciaire de l’arbitrage international, au gré des contrats et des droits des contrats.

 

Si la question se posait ainsi, sans autre considération pour les dispositions obligatoires du contrat en matière de gestion des litiges, je dirais sans hésiter : « l’option préférable est de faire appel au Comité de Règlement des Différends » .  

 

La place des Comités de Règlement des Différends dans les méthodes dites alternative de résolution des litiges

Plus connus sous leur vocable anglais de « dispute boards », les Comités de Règlement des Différends (CRD) sont un mode conventionnel de règlement de différends par lequel les parties confient à un ou plusieurs tiers neutres (généralement trois), mobilisés de façon permanente ou ponctuelle, le soin de résoudre le (les) différend(s) né(s) du contrat qui les lie, en toute indépendance et impartialité, et en application de règles que les parties ont choisies.

L’étendue des missions confiées au CRD dépend de la temporalité de son implication : les CRD permanents constitués ab initio ont en général une fonction préventive et curative, tandis que les CRD ad hoc mis en place lors de la survenance d’un différend sont plutôt cantonnés à une fonction curative.

L’originalité des CRD tient à leur polyvalence : ils empruntent tantôt à l’expertise ou à la médiation ; son (ou ses) membre(s) est un (sont des) « sachant(s) », qui dispose(nt) de connaissances sectorielles, techniques, transactionnelles et opérationnelles qui leur permettent d’appréhender les difficultés rencontrées par les parties dans toutes leurs dimensions. Les Comités de Règlement des Différends ne sont ni mini-arbitrages, ni des médiations et pas davantage des déterminations d'experts, mais un mélange intelligent de toutes ces méthodes dans un mécanisme unique en son genre.

Dans son fonctionnement, le Comité de Règlement des Différends est appelé à prendre des décisions ou émettre des recommandations (selon le mandat qui lui est attribué par les parties) à propos d’un ou plusieurs litiges soumis à travers une saisine formelle et dans un délai qui est fixé par convention, généralement établi de 2 à 3 mois. En cela, le CRD joue donc un rôle de règlement des différends, comme son nom l’indique.

Lorsqu’il est constitué ab initio, il est appelé à visiter le site, à récolter la documentation du projet, à organiser des réunions régulières. Etant régulièrement présent sur le chantier, il peut suggérer aux parties ou être consulté par elles (avec l’accord des deux parties, contrairement à une saisine formelle) pour émettre un avis non contraignant sur quelconque sujet technique ou question d’ordre contractuel, une interprétation d’une clause du contrat ou une prescription du cahier des charges, sans qu’il soit nécessaire que les parties organisent de lourdes soumissions écrites ou encore sans qu’elles établissent nécessairement une évaluation précise de leur préjudice. Dans ces circonstances, et de par sa présence régulière sur chantier tout au long de la réalisation du projet, le CRD assume bien souvent un rôle d’anticipation et d’évitement d’un litige entre les parties, avant que celui-ci n’éclate au grand jour.

En résumé, un Comité de Règlement des Différends peut disposer d’un large éventail de possibilités afin de permettre aux parties de régler leurs éventuels différends de manière efficace et rapide.

Mon expérience en tant que membre de CRD est relativement récente, mais j’ai participé au rendu d’une décision dans le cadre d’une saisine formelle, ainsi qu’à l’émission d’un avis non contraignant, tous deux liés aux conséquences du COVID19 et de la guerre déclarée en Ukraine.

S’agissant du premier cas de saisine formelle, essentiellement axé sur les conséquences de la pandémie de COVID19 intervenue début 2020 et dont les effets ont perdurés pendant de nombreux mois, le CRD a été en mesure de décider que les décisions prises par les autorités du pays où était établi le chantier, constituaient un changement de législation ouvrant droit aux remboursement du préjudice subi, selon les termes du Contrat ; ce que n’aurait pas permis une qualification de force majeure sur laquelle s’appuyait la partie défenderesse, cette dernière contestant d’ailleurs le caractère imprévisible de l’évènement, à partir du moment où la pandémie était installée, plusieurs mois après les décisions des autorités de fermer les frontières et de limiter les déplacements à l’intérieur du pays.

Le CRD a donc décidé sur la base des faits et des dispositions du Contrat. Mais parce que les membres du CRD étaient pluridisciplinaires, le CRD a également été en mesure de challenger la méthode présentée par l’Entrepreneur pour établir les pertes de productivité des moyens mis à la disposition du chantier, du fait des mesures de distanciation ; le CRD a ainsi décidé sur prolongement de la durée d’exécution qui en résultait et il a décidé sur le montant devant être remboursé à la partie demanderesse. 

Ainsi les parties ont bénéficié de la présence d’un organe désigné par avance, tenu au fait des évènements du projet et capable de statuer dans un temps limité sur leur différend, sans avoir à attendre des mois la désignation d’arbitres ou de médiateurs, puis l’émission d’une sentence aux termes d’un processus interminable et épuisant pour les parties. Autre avantage, dès lors que le CRD visitait le chantier de façon régulière (lorsque les conditions sanitaires l’ont permis), il a pu suivre les mesures réellement mises en œuvre sur le terrain et apprécier leur effet, pour établir sa décision.


En définitive, par sa décision, le CRD a ainsi communiqué aux parties une règle applicable pour déterminer les effets résultant de la pandémie de COVID19 en termes de délais et de coûts, jusqu’à ce que le gouvernement du pays où se trouve le chantier, ne modifie à nouveau le cadre législatif.

Dans le second cas, visant précisément les restrictions que certains pays ont continué d’imposer pour combattre la pandémie de COVID19 et le contexte de guerre en Ukraine, dont l’effet combiné a entrainé la pénurie sur les matières premières, les parties s’étaient entendues pour solliciter du CRD un avis informel, à propos de l’interprétation de différentes clauses du contrat et les obligations qui en résultaient ; cet avis informel du CRD devait permettre aux parties d’identifier les forces et faiblesses de leurs positions respectives, avant d’établir la nature du dommage pour lequel le contrat prévoyait réparation.   

Après une discussion ouverte à propos des questions posées sur le Contrat, le CRD a sollicité des parties qu’elles établissent en quelques pages leurs réponses respectives à des questions précises qu’il avait établies ; puis le CRD a offert aux parties la possibilité d’une réplique aux positions de l’autre partie.

Les questions posées par le CRD étaient habilement construites pour faire prendre conscience aux parties des risques encourus, en cas d’éclatement au grand jour d’un différend sur ces questions de droit. Naturellement, les questions du CDR ont été construites de sorte que les parties ne puissent anticiper, au moment d’établir leur réponse, quel serait l’avis émis par le CRD.

Les parties ont ainsi obtenu en quelques semaines un avis informel du CRD, organe disponible et très au fait du contrat et des difficultés du projet, puisque siégeant de manière continue. Cet avis a permis aux parties de conclure par la suite un avenant, prenant en compte une extension des délais contractuels et une augmentation du prix du marché, dans des limites que les parties ont jugées raisonnables et ont conjointement agrées.  

Dans ce cas, le CRD a pleinement joué son rôle d’évitement d’un différend larvé (« dispute avoidance » selon le terme consacré par les anglo-saxons), et permis la rédaction d’un accord dans l’intérêt du projet.

Au regard de ces deux exemples vécus, je considère que les CRD constituent un outil efficace pour résoudre notamment les différends qui résulteraient de la période post COVID19 et des conséquences de la guerre en Ukraine. En effet :

  1. Les Comités de Règlement des Différends sont composés d'avocats, de juristes ou d'ingénieurs qui connaissent l'industrie de la construction ou l’ingénierie ; ils sont capables de comprendre et résoudre les questions juridiques et techniques nées du contrat, et ils sont rompus aux problématiques d’organisation et de contrôle des grands chantiers, en France et à l’international.
  2. Les Comités de Règlement des Différends jouissent d’une bonne réputation éthique, promue et soutenue par plusieurs organisations à but non lucratif ; celles-ci accordent une grande importance à la conduite éthique, afin de prévenir tout risque de déviation susceptible de porter atteinte à la réputation des Comités de Règlement des Différends à travers le monde.
  3. Les Comité de Règlement des Différends ont certes un coût, mais le processus qu’ils suivent se révèle, par ses modalités et sa rapidité, moins onéreux qu’un procès auprès des instances judiciaires, étatiques ou encore que l’arbitrage. Leur saisie rapide contribue à la réduction des effets négatifs sur la durée et les coûts du projet
  4. Lorsqu’il est établi ab initio, le Comité de Règlement des Différends peut engager les parties à demander un avis informel du CRD sur une problématique contractuelle, technique, avant que n’émerge un véritable différend entre les parties ; le Comité de Règlement des Différends exerce alors un véritable rôle de prévenance et d’empêchement d’un litige, potentiellement larvé entre les parties
  5. Les Comités de Règlement des Différends sont reconnus par des organisations internationales les plus importantes, telles que la Chambre de Commerce Internationale, par les biais de ses propres règles, ou encore par la Fédération Internationale des Ingénieurs Conseils (FIDIC®) qui publient des contrats types, très utilisés dans le cadre de contrats internationaux en matière de construction ; ces modèles types prévoient la nomination d’un Comité de Règlement des Différends comme organe de décision ou de recommandation, avant toute autre modalité alternative de règlement des litiges, telle que l’arbitrage.
  6. Les Comités de Règlement des différents apportent des solutions aux parties et contribuent au maintien de la relation commerciale entre elles 

 

Est-il besoin de citer d’autres bonnes raisons pour prévoir la constitution d’un Comité de Règlement des Différends dans les contrats sur un projet d’infrastructure de transport ?

 

Thierry RE

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Thierry RE, de formation initiale ingénieur énergétique industrielle  intervient comme expert de partie dans des procédure d’expertises judiciaires ou encore comme expert témoin en arbitrage international.

Après avoir occupé des fonctions de gestionnaire de contrats et de chef de projet dans des entreprises intervenant dans le domaine de la construction d’infrastructures et usines de procédés clés en main, Thierry RE a créé le cabinet SENLIO en 2010 pour accompagner ses clients (maitrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre ou entreprises) sur leurs problématiques contractuelles diverses.

Récemment, Thierry RE a été nommé par la Chambre de Commerce Internationale – ADR Centre (Alternative Dispute Resolution) pour intervenir comme expert indépendant, en charge de produire un rapport susceptible d’éclairer le tribunal sur le différend animant les parties.