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Blog de l'ICM

La Facilitation ou l’Art de rendre une réclamation acceptable, puis négociable

La Facilitation ou l’Art de rendre une réclamation acceptable, puis négociable

En partenariat avec Mareex consulting 



La survenance d’un différend, voire ultérieurement d’un litige entre les parties prenantes fait partie de la réalisation de tout projet. Il y aura toujours une prestation, une fourniture dont l’exécutant contestera qu’elle fait       partie de son périmètre en vertu du      contrat tel qu’il a été signé, à l’opposé de ce que soutient son client.  Il y aura toujours une adaptation, une modification, une addition au cahier des charges sur laquelle les parties seront en désaccord. Il y aura toujours un retard dont chacune rejettera la responsabilité sur l’autre. Mais in fine, les parties n’auront d’autre choix que de trouver un accord amiable, sauf à se résoudre à entrer dans une procédure judiciaire longue, coûteuse et à l’issue parfois incertaine.

 

Une négociation commerciale a pour objectif commun de signer un contrat qui concrétise le lancement d’une réalisation appelée à bénéficier aux deux parties, essentiellement pécuniairement pour l’exécutant et en réponse à ses besoins pour le client. A contrario, la négociation d’un litige n’a, a priori, pas d’objectif bénéficiaire commun, du moins sur le plan financier.


L’état d’esprit change : d’une situation gagnante-gagnante au moment de signer le contrat, on passe à une autre moins plaisante, à celle où il y aura potentiellement et pécuniairement au moins un perdant si ce n’est deux. Les interlocuteurs s’assoient à la table des négociations en étant généralement tendus, parfois pétris de rancœurs et souvent dubitatifs quant aux chances de succès.

 

D’où l’importance de la réussite de la ou des premières réunions, condition indispensable pour déboucher sur un accord amiable où chacun aura fait un pas en avant. Que ce soient des négociations directes entre Directions ou avec l’aide d’une partie tierce (tel un médiateur qui agira d’abord comme un catalyseur de communication), il est primordial que les sujets soient bien préparés. Ainsi, il sera évité d’empirer des tensions déjà bien présentes au début du processus et qui, si exacerbées, pourraient bien provoquer rapidement, et parfois de façon irréversible, la rupture des négociations ou de la médiation avec pour seule issue le tribunal.

 

En effet, parmi les causes d’échec des négociations/médiations, il y a l’insuffisance de préparation d’une ou des deux parties, résultant en leur soumission de sujets mal consolidés, voire insuffisamment maîtrisés.  Au titre des lacunes et autres défauts épistolaires, citons des allégations sans réels fondements, des chiffrages plus ou moins fantaisistes, des accusations de retard non ou mal étayées, un raisonnement bancal, une rédaction difficile à comprendre, un excès d’acronymes que seuls des spécialistes peuvent comprendre, des phrases mal construites sans compter les fautes d’orthographe      et/ou une agressivité inutile, ….

 

A la première lecture ou à l’exposé en séance de griefs ainsi pauvrement montés, il est quasi certain que la personne opposée, à moins d’être dotée d’une patience et d’une tolérance hors du commun, sortira. La faire revenir en réunion demandera un redoublement d’efforts, parfois en vain.        

 

La charge de la preuve appartient à celui qui allègue et il convient de rappeler ce principe de base qui est hélas trop souvent négligé, voire ignoré. Car c’est un exercice qui s’avère d’autant plus chronophage et énergivore que la partie qui réclame a été laxiste dans la protection quotidienne de ses intérêts et souffre d’une carence d’écrits tels que notification, rappel, relance, révisions de planning…. 

 

Prenons l’exemple d’une réclamation déposée par une entreprise exécutante à la suite d’une perturbation qu’elle attribue à son client et qui lui a causé un retard dans la réception d’un nouvel ensemble immobilier ou d’un complexe industriel et des surcoûts.


  • Son accusation de défaillance de son client (ou de son organisation) dans le respect d’une de ses obligations contractuelles ne saurait perdurer si elle ne fait pas d’abord référence à une disposition contractuelle précise. C’est une première condition, absolument nécessaire mais totalement insuffisante si elle n’est pas soutenue d’écrits produits en cours de réalisation de projet et qui en jalonnent la démonstration. C’est à ce prix que l’allégation devient preuve.


  • L’étape suivante sera de déterminer une répartition (toujours étayée) des responsabilités du retard subi. Les documents clés seront les révisions successives du planning de réalisation, en particulier réalisées à chaque fois qu’un évènement en a modifié le chemin critique. Là encore, une carence de révisions pertinentes se révèlera in fine préjudiciable à l’auteur de la réclamation. Elle le privera non seulement du bénéfice d’un retard excusable susceptible de l’exonérer de pénalités, mais aussi de la part compensable de ce même retard qui lui donnerait droit à rémunération du préjudice subi.


  • Ce n’est qu’en dernier lieu que le chiffrage de la réclamation sera établi. Il doit être lui aussi consolidé de documents comptables pertinents tels que factures, feuilles d’attachement, ... Sur ce point, il convient de s’affranchir d’un raccourci trop souvent utilisé qui consiste à confondre le montant du préjudice qui peut être réclamé avec la perte financière subie par la partie qui revendique.


Le succès d’un aboutissement favorable d’une réclamation réside dans la capacité du demandeur à convaincre rapidement un décideur de l’autre partie sur le bien-fondé de ce qu’il soumet. D’où l’importance que chaque partie doit porter à la préparation de chaque sujet en évitant les écueils énumérés ci-dessus et en apportant beaucoup de soins à leur rédaction.


Il convient de garder à l’esprit deux fondamentaux :


  • Le décideur, qu’il ait qualité de directeur, de juge ou d’arbitre, n’est - sauf exception - ni un spécialiste, ni même un technicien du domaine concerné. Il est à craindre qu’il ou elle perde le fil d’une démonstration qui, même bien étayée, serait trop technique et fasse qu’il ou elle n’en perçoive pas la réelle pertinence.


  • Ce même décideur n’aura que peu de temps à consacrer à la lecture et à l’étude du dossier présenté. Si les points essentiels ne sont pas perçus rapidement, il est à craindre que ce même dossier soit alors mis de côté, repoussé sine die ou, pire, rebuté. 

 

Par insuffisance de conviction, une démonstration même bien montée techniquement peut échouer. Ainsi, le rédacteur final se doit d’être une belle plume et doit savoir s’adapter aux futurs lecteurs.


Si son interlocuteur direct n’est pas le décideur, il doit même pouvoir anticiper les difficultés que ce dernier pourrait avoir pour réussir à « vendre » en interne cette réclamation auprès du vrai décideur. Ainsi, faire preuve d’empathie peut devenir un impératif si l’autre partie contractante est par exemple une société très hiérarchisée où tout se décide aux hauts échelons.

 

En cas de médiation, une des préoccupations du médiateur sera de s’assurer que les sujets de discorde présentés ont été suffisamment travaillés au préalable pour que l’entrée en matière soit rapide et efficace.


En cas de doute, il peut recourir ou faire recourir à une facilitation préalable dont le but sera de rendre chacun de ces dossiers acceptables pour une négociation médiée. Cet exercice peut s’avérer salutaire pour la médiation, quitte à en rallonger la durée. Cette facilitation peut d’ailleurs être orchestrée par le médiateur lui-même, en pleine transparence et en remémorant aux parties les étapes essentielles au montage de toute revendication ainsi qu’il l’a été rappelé plus haut.  

 

Un argument fort en cas de projet réalisé sur fonds publics est que le futur accord médié sera susceptible d’être audité à plus ou moins court terme et qu’il doit par conséquent avoir été établi de façon rigoureuse, sous peine      d’être contesté, voire annulé par la suite. Or, pour aboutir à un accord auditable, il est vital que les dossiers présentés soient négociables et, avant même de l’être, ils doivent être acceptables, une condition sine qua non pour réussir une négociation/médiation !   

 

 

        Bruno Gomart

Ingénieur ECL, Executive MBA HEC, 45 ans dans l’Ingénierie, la Construction et les Équipements Industriels, Bruno Gomart a exercé comme chef de chantier (mise en route), chef de projet, responsable commercial, avant de diriger une entité russe, une filiale américaine, une division française et une société suisse. Il a travaillé dans 45 pays.

Auteur du « Guide du Contract Management Opérationnel » (EPFL/PPUR juin 2018) et affiliated professor, il a enseigné en E-MBA, MBA, MSc et MIB dans 7 pays.

Il anime des formations (282 sessions à ce jour) de haut niveau en Contract Management Opérationnel et conseille dans cette discipline les équipes commerciales en phase de négociations, les équipes de projet tout au long de la réalisation et pour finir, aide à un enseignement pertinent sur la base de retours d’expérience pertinents dont le but est d’accroître la valeur de l’entreprise par capitalisation du savoir.

Spécialiste en restauration de la marge pour projets en difficulté, COO de MAREEX Consulting SA, il a mené 36 missions sur les 5 continents en qualité d’expert, facilitateur, négociateur et médiateur. Il a été Witness Expert en Arbitrage international.