Exécuter un
contrat dans un pays étranger génère souvent l’obligation de payer des impôts
dans ce pays. S’il est normal de payer des impôts, le pays de votre client,
tout comme la France vont essayer de soumettre à l’impôt tout ou partie du même
contrat. Ceci qui peut générer des surcouts que l’on cherchera à éviter. Limiter
les risques fiscaux n’est pas seulement l’affaire des acteurs incontournables
que sont les fiscalistes, c’est aussi l’affaire de toute l’équipe projet et en
particulier du contract manager.
Avant de
voir comment intégrer le risque fiscal dans la gestion de projet, voici quelques
brefs rappels.
La TVA, invention française, a été reprise un peu partout dans le monde. En
principe, seul l’acheteur final (ou s’il n’est pas enregistré à la TVA, le
vendeur étranger) supporte la TVA (ceux qui sont en amont ayant un rôle de
simples collecteurs) et la TVA est considérée comme un impôt neutre pour le
vendeur. On verra cependant que faute de prendre certaines précautions, la TVA
peut dans certains cas devenir une charge définitive pour l’exportateur.
D’autres
taxes cumulatives sur le chiffre d’affaires peuvent avoir été mises en place,
même si la TVA prend de plus en plus leur place.
L’impôt sur
les sociétés. La plupart des états imposent les
sociétés sur leurs bénéfices, voire leur chiffre d’affaires. Dans le cadre d’un
marché international, il est impératif de savoir dès la phase offre si nous allons
être soumis à un tel impôt, et, dans l’affirmative, il faudra aussi déterminer
quelle sera l’assiette de cet impôt. On verra que faute de certaines
précautions cette assiette peut aller jusqu’à la totalité du marché, scénario
catastrophique s’il en est quand on est déjà assujetti à l’impôt en France.
Les
conventions fiscales. L’un des premiers
documents à parcourir dès la phase offre est, quand il en existe une, la
convention fiscale signée entre la France et le pays de notre client.
L’objectif de ces conventions est principalement d’éliminer les doubles
impositions et de répartir le droit d’imposer entre Etats. On restera attentif
au fait que les conventions ne fixent pas toutes les mêmes règles : une
activité taxable dans un pays peut ne pas l’être dans un autre.
On fera également attention aux conditions de traitement des redevances[1]. On trouve les conventions fiscales sans difficulté et gratuitement sur le site impots.gouv.fr
Les retenues à la source. Dans certains pays, certains
paiements (typiquement le paiement des factures de services locaux ou des
redevances) font l’objet par le client d’une retenue à la source, versée
directement à son administration fiscale. Cette retenue vise à limiter les risques
de non paiement de taxes par le vendeur étranger, que ce soit par oubli ou
délibérément.
Ces retenues à la source peuvent être définitives ou
récupérables, sous condition de prouver que l’on a bien respecté les règles
applicables[2].
Les Etablissements
Stables (ES). On se contentera ici de rappeler qu’une
entreprise devient imposable dans un pays étranger dès lors qu’elle a un
établissement stable (« ES ») dans ce pays et qu’un établissement
stable est une notion fiscale et une question de fait. La situation d’ES est
indépendante de la volonté de l’entreprise, qui peut donc se retrouver dans
cette situation, et donc imposable localement, sans l’avoir prévu initialement
voire sans s’en rendre compte…
Les règles de
caractérisation de l’existence d’un ES sont données dans les conventions
fiscales.
Exemple de deux conventions fiscales conclues par la France avec deux pays voisins : l’Algérie et la Tunisie
La convention fiscale conclue par la France et l’Algérie stipule :
« 1. Au sens de la présente Convention,
l’expression « établissement stable » désigne une installation fixe
d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou
partie de son activité.
2. L’expression « établissement stable » comprend
notamment : a) Un siège de direction ;b) Une succursale ;c) Un bureau ; d) Une
usine ; e) Un atelier ; f) Un magasin de vente ; g) Une mine, un puits de
pétrole ou de gaz, une carrière ou tout autre lieu d’extraction de ressources
naturelles.
3.
Un chantier de construction ou de montage ne constitue un établissement stable
que si sa durée dépasse trois mois. »
La
convention fiscale conclue par la France et la Tunisie stipule quant à
elle :
« Un
chantier de construction, où des opérations temporaires de montage ou des
activités de surveillance s'y exerçant, (constitue un établissement stable)
lorsque ce chantier, ces opérations ou ces activités ont une durée
supérieure à six mois ou lorsque ces opérations temporaires de montage ou
activités de surveillance, faisant suite à la vente de machines ou
d'équipement, ont une durée supérieure à trois mois et que les frais de
montage ou de surveillance dépassent 10 p. cent du prix de ces machines ou
équipement. »
Attention
aux habitudes et aux extrapolations, les conventions fiscales conclues
respectivement avec l’Algérie et avec la Tunisie ne disent pas la même chose au
sujet des chantiers de construction.
Pays
voisins, mais règles différentes… On ne croira donc que ce qu’on a lu.
Une fois
ces éléments rappelés, qu’est ce qu’une équipe projet (acheteur, project
manager, contract manager, contrôleur) devra avoir en tête -en s’appuyant sur
ses fiscalistes- pour limiter les risques fiscaux en phase offre puis en phase
exécution ?
Phase offre : la construction du contrat
On ne reprendra pas ici tout ce qui doit être fait de la préparation des offres à la signature du contrat mais on peut quand même rappeler quelques reflexes et bonnes pratiques.
En ce qui concerne la composante équipements du projet.
Choix de l’Incoterm. L’incoterm DDP est de façon générale à éviter. Il oblige le fournisseur à effectuer les opérations de dédouanement, ce qui peut obliger à ouvrir une succursale et crée le risque d’une fiscalisation locale de la totalité du contrat.
Lieu du transfert de propriété. Si un transfert après complet paiement peut apparaitre sécurisant, cet élément peut être utilisé pour démontrer que le fournisseur exerce une activité taxable dans le pays de son client.
Choix des sous-traitants. Attention si on source dans le pays du client, la TVA locale peut ne pas être déductible.
En ce qui concerne la partie services (montage, essais…).
La nature et/ou la durée des services va permettre de déterminer si le fournisseur est en situation d’établissement stable.
Le choix des fournisseurs de services peut elle aussi créer un risque fiscal. Si mon sous-traitant est local, il va devoir facturer de la TVA et celle-ci pourrait ne pas être déductible. En effet, pour récupérer la TVA on sera obligé de s’enregistrer localement à la TVA et donc de subir des contraintes administratives[3] dont la lourdeur et le coût final compensera voire dépassera le montant de la TVA récupérée.
On évitera des termes tels que redevance, droits d’usage, royalties,…
Dans la construction
du prix de vente, on détaillera entre équipements et services et entre lieux
d’exécution des prestations. On fera très attention au découpage entre part
locale et part étrangère ainsi qu’à leur valorisation. En effet, si faire un
bénéfice important à l’étranger expose déjà à des impôts potentiellement plus
importants que prévu, dans certains pays on se retrouve en plus confronté à
l’impossibilité de rapatrier le bénéfice après impôt, le risque de non
transfert s’ajoutant alors au risque fiscal.
On
vérifiera si une succursale n’existe pas déjà dans le pays et si d’autres
contrats ne sont pas déjà en cours dans le pays. Une accumulation de contrats
peut amener à une situation d’Etablissement Stable là où un seul d’entre eux ne
l’aurait pas fait[4].
On
vérifiera la présence d’une filiale ou d’une société sœur. Faire porter par une
entité du même groupe la part locale d’un contrat est souvent une très bonne
solution même si elle fait parfois l’objet de freins locaux (un responsable
local pourrait être réticent à participer à un projet dont la marge n’est pas
grande, surtout s’il est jugé par ses chefs sur ce critère).
Lorsque
vous pouvez vous appuyer sur une société sœur ou une filiale locale vous pouvez
opter soit pour un schéma de co-traitance (la part locale est portée par
l’entité locale) soit pour un contrat porté intégralement par cette société
(l’exportateur devient alors un simple fournisseur).
Par contre évitez de sous-traiter la part locale à la société sœur car vous allez vous retrouver en situation d’ES.
Enfin, si vous voulez vous appuyer sur une société sœur, restez attentifs à la valorisation des équipements et services qu’elle va vous facturer ou que vous allez lui facturer. Le fisc français pourrait vérifier que vous ne profitez pas de l’occasion pour délocaliser vos bénéfices (problématique des prix de transfert). A nouveau appuyez vous sur votre expert fiscal pour maitriser ces risques.
On le voit
avec ces quelques rappels, dès lors que l’on dépasse le cadre de simples
exportations de biens, la construction d’une offre commerciale à
l’international devient vite un savant travail d’équilibriste pour maitriser
les risques fiscaux.
Phase
d’exécution : les risques liés aux changements de planning et de scope
Le travail de maîtrise du risque fiscal peut être remis en cause en phase d’exécution que ce soit du fait des difficultés rencontrées dans l’exécution des travaux soit d’une mauvaise maitrise d’opportunités commerciales qui se révèlent être piégeuses…
Bien rares sont les projets où tout est conforme à ce qui était prévu et il n’est pas rare de voir revenir en phase d’exécution des risques fiscaux qui avaient été évités lors de la conclusion du projet. Cette résurgence du risque fiscal et de coûts imprévus parfois très significatifs peut provenir d’au moins 3 scénarii assez fréquents dans les projets industriels et dont je vous donnerai prochainement quelques exemples vécus.
- Le fournisseur se trouve souvent confronté à des dérapages du planning, du fait de son client, de son propre fait ou souvent un mélange des deux
- Son action commerciale, éventuellement aidée par des difficultés de son client, vont lui permettre d’obtenir des avenants augmentant son scope initial.
- Des opportunités ou des difficultés vont l’amener à contractualiser avec de nouveaux fournisseurs.
A suivre
donc…
Marc Louet a passé 25 ans sur des projets industriels en France ou à l’étranger, en tant que MOA, MOE ou contractant. Contract manager dans des grands groupes industriels pendant plus de 15 ans, il met son expérience au service de vos équipes projets
[1] Attention
les logiciels sont souvent considérés comme des redevances.
[2]
Attention, c’est parfois au moment de vous payer que votre client va vous
demander les documents qui lui sont nécessaires pour ne pas appliquer la
retenue à la source à votre facture. Même dans le cas où vous arriverez à
obtenir ces documents, cette découverte tardive peut avoir un impact sur votre
trésorerie.
[3] Outre le
cout de l’enregistrement, le simple fait de s’enregistrer pour récupérer de la
TVA peut attirer l’attention du fisc local et créer un risque de contrôle.
[4] Découper un contrat de plusieurs années en plusieurs successifs
pourrait bien ne pas tromper le fisc local, attention à l’effet
boomerang !