Deuxième
partie : Appliquer les clauses de pénalités de retard, la question du bon
moment (ou du moins mauvais)
1. Demander le paiement des pénalités.
Les retards dans les projets, industriels entre
autres, étant fréquents, la question d’appliquer les pénalités se pose
régulièrement.
Appliquer des pénalités a des avantages indéniables
qui vont bien au-delà d’une compensation (partielle) des conséquences
du retard. Le plus évident est que cela va obliger le fournisseur à mettre en
œuvre les moyens nécessaires à la tenue des délais soit pour la suite du projet
(en cas d’application partielle de ces pénalités en cours
d’exécution) soit pour un autre projet (dans le cas d’une relation industrielle
récurrente). L’expérience rend sceptique sur les vertus des seules
remontrances et des menaces (en l’air) car, après tout, pourquoi faire des
efforts pour tenir le planning si on n’est pas pénalisé de toute façon ? Ceci
sera d’autant plus vrai quand un autre client de mon fournisseur applique, lui,
les pénalités.
D’un autre côté, appliquer les pénalités n’est pas sans
conséquence. On citera la dégradation de la relation initiale voire
l’initialisation d’une crise dont les effets déborderont parfois le cadre du
seul projet.
Comme toujours il faudra faire preuve de discernement
en adoptant quelques règles simples.
1 Vérifier ce que dit le contrat. Pour cela
faites appel à votre Contract Manager, il vous aidera à éviter bien des erreurs
de forme ou de fond comme faire référence aux mauvaises clauses, ne pas
appliquer le taux et l’assiette contractuels, voire demander plus que le
plafond contractuel (exemples vus !). N’oublions jamais que notre demande
va probablement être lue par les juristes de notre client, voire son top
management… alors soyez attentif et rigoureux.
En plus du contrat (et de ses avenants) n’oubliez pas
non plus de relire les courriers envoyés et reçus ayant trait aux retards, les
comptes-rendus de réunion. Si votre fournisseur s’excusait de ses retards, vous
en ferez votre miel mais s‘il invoquait votre responsabilité ou des évènements
extérieurs, une analyse s’impose (effet boomerang possible!).
2 Examiner le contexte projet pour trouver le bon
timing de notification et les termes appropriés à celle-ci. Si mon
fournisseur est mécontent, quelles conséquences ce mécontentement pourrait
avoir pour le projet et son avancement ? Peut-être vaut-il mieux
envoyer votre notification après la livraison des équipements critiques, si
cela est compatible avec les modalités de votre contrat relatives à la
notification des pénalités … Si leur expédition est retardée,
qu’allez-vous pouvoir faire vis-à-vis des autres interfaces sur le
chantier, du client final ?
Rappelez-vous qu’il est important de notifier les
retards et d’en rappeler les conséquences (qui incluent l’application possible
des pénalités correspondantes). Mais vous pouvez vous contenter dans un premier
temps de réserver vos droits de les appliquer.
3 Examiner le contexte global car la
capacité de rétorsion du fournisseur peut déborder votre problématique. S’il
décide de ne pas être conciliant sur un autre projet, plus stratégique
pour votre entreprise, vous aurez vite des pressions internes ou des
instructions de votre hiérarchie (l’arbitrage managérial entre les intérêts
divergents de deux projets peut vous être défavorable).
4 Anticiper. S’il y a une chose qui peut provoquer une crise,
c’est bien l’effet douche froide. Si tous les signaux que vous avez envoyés
rassuraient votre fournisseur, votre demande même contractuellement fondée peut
générer une crise. Avoir communiqué régulièrement (et pas seulement pendant la
négociation) sur l’importance de tenir les délais aura non seulement poussé
votre fournisseur à faire des efforts mais cela vous permettra de vous
présenter comme étant de parfaite bonne foi. N’oubliez pas que plus
tôt vous mettez la pression sur le respect des délais plus votre
fournisseur cherchera des solutions pour y répondre. Quand il est trop
tard pour rattraper les retards, ce sont des excuses qu’il
va chercher.
5
Rester ouvert au dialogue. Même
si vous avez décidé de faire valoir vos droits, plutôt que du cash, peut-être
serez-vous heureux de transiger et d’accepter comme compensation une extension
de garantie, des travaux supplémentaires à moindre coûts, etc… une solution plus
indolore pour votre partenaire mais pas forcément moins intéressante pour vous.
Vous l’aurez compris, appliquer des pénalités de retard est parfois nécessaire mais n’est en général pas sans conséquence. C’est une décision impactante qui nécessite une prise de recul, de l’anticipation dans la gestion du contrat et l’implication attentive du contract manager. Bien gérée, cette décision peut aussi avoir des retombées positives au-delà des seuls aspects financiers.
2. Quid de l’exécution du contrat après le dépassement du plafond contractuel des pénalités de retard
Le
droit de résiliation, dès lors que le plafond de pénalité aura été atteint, est
un grand classique des conditions générales d’achat. Pourtant, j’ai rarement
(une seule fois en fait) vu cette clause appliquée, bien moins souvent que le
dépassement des retards maximum.
Pour
comprendre pourquoi, je vous propose de devenir, pour quelques instants, un
contractant ayant vendu la construction clé en main d’une centrale solaire.
Votre client étant strict sur les délais, vous l’avez été tout autant avec vos
sous-traitants.
L’un
d’eux, sans avoir arrêté ses activités, voit ses retards s’accumuler et vous
avez maintenant la possibilité contractuelle de résilier son contrat car le
plafond des pénalités de retard est atteint. Des obstacles pourtant vont vous
dissuader de le faire.
Le
planning
Le
premier obstacle à la résiliation, c’est le planning du projet. En effet, à
moins d’avoir déjà sous la main un plan B opérationnel, il ne sera pas facile
de résilier le contrat du sous-traitant défaillant et faire finir les travaux
par un autre sans accumuler encore plus de retards (dont ceux liés à la
négociation qu’il va falloir entamer sans tarder). Peut-être que pour le
décaissement du terrain ou le montage de la clôture, c’est possible mais pour
les gros transformateurs, dont le design est spécifique et le temps de
fabrication long, ce sera une autre histoire.
Les
doutes sur le partage des responsabilités dans la situation
C’est
un deuxième obstacle très classique : votre fournisseur défaillant
peut aussi contester être responsable des retards, ou au moins d’une partie
d’entre eux. Peut-être avez-vous-même déjà reçu des courriers en ce sens.
Une
fois mises à plat les différentes circonstances, il est fréquent que la
situation soit moins tranchée que vous ne le pensiez. La décision de résilier
le contrat de votre sous-traitant semble alors moins confortable.
Les
surcoûts
Même
si les responsabilités sont indiscutées, un
troisième obstacle subsistera :
les coûts additionnels liés à la résiliation et la question de savoir qui va
les supporter. Trouvé dans l’urgence, le plan B a peu de chance d’être au même
prix que le plan A. Certes, vos acheteurs et juristes ont prévu le cas et il
est bien stipulé que les coûts liés à la résiliation seront à la charge du
défaillant mais :
- Il
y a peu de chance qu’il veuille bien vous faire un chèque sur simple demande,
surtout s’il conteste sa responsabilité dans les retards.
- Il
est même possible qu’il n’en ait pas les moyens
financiers (qui sait d’ailleurs si ses retards ne sont pas dus à des
difficultés financières ?).
Admettons
cependant que les responsabilités sont claires et que le fournisseur a une
surface financière encore suffisante. S’il ne veut pas payer, une fois appelée
la garantie de bonne fin, il va falloir se donner rendez-vous au tribunal.
A
nouveau, vos acheteurs et juristes ont bien travaillé : tribunal près de
chez vous et droit applicable français, mais on ne manquera pas de vous
rappeler qu’une procédure reste longue, couteuse et parfois aléatoire (les
dénégations du sous-traitant étaient-elles vraiment si infondées ?).
Et
même si vous avez gain de cause, si votre sous-traitant défaillant est d’un
autre pays, faire appliquer une décision de justice en votre faveur chez lui
peut à son tour devenir un chemin moins confortable qu’espéré, peut-être même
une voie sans issue.
On
le voit dans ce court condensé de situations assez classiques, appliquer son
droit de résilier un contrat quand le plafond de pénalités est atteint ne peut
pas se faire sans se poser la question de l’après et le meilleur contrat du
monde ne vous protègera jamais parfaitement contre une erreur de casting.
Marc Louet a passé 25 ans sur des projets industriels en France ou à l’étranger, en tant que MOA, MOE ou contractant. Contract manager dans des grands groupes industriels pendant plus de 15 ans, il met son expérience au service de vos équipes projets